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jeudi 24 avril 2025
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L’État par décret : entre farce française et fantasme algérien

Printemps 2025. Le monde change, les sociétés s’agitent, les crises s’accumulent. Mais face à cette complexité, les États, eux, ont trouvé leur réponse : le décret. Simple, rapide, vertical. Une décision sans débat, un texte sans dialogue. Le décret, aujourd’hui, est à la politique ce que le pansement est à l’amputation : un geste rassurant, mais rarement salvateur.

Deux pays, deux régimes, une même tentation : celle de gouverner sans gouverner. En France, le décret incarne une technocratie sous stéroïdes. En Algérie, c’est le totem d’un pouvoir qui s’invente en récitant ses propres formules magiques.

France : une République gouvernée comme une app

En France, le pouvoir s’exerce en mode « silent update ». Plus besoin de convaincre, ni même de consulter : on publie. Le décret est devenu le raccourci favori d’une classe dirigeante qui redoute l’obstacle démocratique autant qu’un bug dans un logiciel.

En avril, la réforme controversée sur l’« IA éthique » est passée comme un téléchargement automatique : adoptée par ordonnance, discutée à peine, digérée jamais. Le Conseil constitutionnel, garant supposé de l’équilibre des pouvoirs, a regardé ailleurs. Quant à la presse, elle s’est brièvement indignée avant de se remettre à couvrir l’actualité… météo.

Les libertés publiques, elles, sont devenues optionnelles. La reconnaissance faciale est « encadrée », les manifestations sont « régulées », le vote électronique est « sécurisé ». La gouvernance devient un protocole algorithmique : le citoyen, un utilisateur sans accès root.

L’État, jadis moteur de projet collectif, s’est mué en plateforme de services. Il réagit, il compense, il gère. Jamais il n’inspire. En multipliant les mini-réformes par décret, il donne l’illusion du mouvement… en évitant soigneusement la direction.

Algérie : l’État incantatoire et l’illusion souveraine

En Algérie, le décret ne vient pas clore un débat — il le remplace. C’est une déclaration d’existence dans un paysage politique figé. Le pouvoir ne gouverne pas : il proclame. Chaque décret est un acte de présence, un rituel républicain qui mime la réforme sans la faire.

En 2025, l’Algérie continue d’enchaîner les annonces : lutte contre la corruption, relance économique, sécurité nationale. Autant de promesses répétées, jamais réalisées. Le décret devient ici une forme de storytelling institutionnel, où chaque signature vise à rassurer une population qui n’y croit plus.

Sur le plan régional, l’Algérie se rêve en médiateur du chaos sahélien. En réalité, elle s’y noie. Le gazoduc transsaharien, censé incarner la grandeur géoéconomique de la décennie, est suspendu entre instabilité politique et diplomatie d’apparat. Quant aux contentieux avec le Maroc ou la France, ils servent surtout à occuper le vide stratégique.

Le décret algérien, loin d’être un outil de réforme, est une opération de communication. Il maintient les apparences : celles d’un État fonctionnel, d’un pouvoir actif, d’une souveraineté maîtrisée. Mais derrière le rideau, tout vacille. Le système fonctionne sur l’inertie, la rente et la peur de l’alternance.

Le décret : cache-misère ou stratégie d’évitement ?

Ce qui unit la France et l’Algérie, c’est une même dérive : le décret comme ersatz de gouvernance. Dans les deux cas, le politique se dérobe. L’un par hyper-rationalisation technocratique, l’autre par peur du réel.

En France, décréter, c’est gagner du temps. On réforme sans dialogue, on évite le tumulte parlementaire. C’est la gestion du court terme, au service d’une stabilité fictive. En Algérie, décréter, c’est repousser l’effondrement. On brandit l’autorité sans assumer le changement. C’est la survivance par le verbe.

Et dans les deux cas, le résultat est le même : un pouvoir qui parle à la place d’agir. Un pouvoir qui prétend maîtriser, alors qu’il ne fait que contenir.

Conclusion : une république du texte vide

Le décret était jadis l’outil d’un pouvoir fort, capable de trancher dans l’urgence. Il est devenu aujourd’hui le masque d’un pouvoir faible, incapable d’inspirer. Dans les deux cas, il témoigne d’un glissement : gouverner ne consiste plus à faire des choix, mais à les simuler.

« Là où l’on pensait gouverner, il ne reste que des signatures au bas de pages que plus personne ne lit. »

Dans cette époque où tout est communication, le décret est un geste qui rassure l’appareil, pas les peuples. Il console le politique, mais trahit la démocratie. Il produit du texte, mais pas de sens. Il impose, mais ne construit rien.

Au final, en 2025, un État par décret n’est ni une solution, ni un destin. Juste un symptôme. Celui d’une politique devenue gestion, et d’une gouvernance qui, faute de vision, s’accroche à la forme.

Dr A. Boumezrag

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