Mahrez BOUICH, Enseignant chercheur en Philosophie politique à l’Université Abderrahmane Mira- Bejaia.
Depuis l’annonce du retrait de la candidature de Bouteflika, le peuple ne décolère pas. Que pensez-vous ?
C’est la montagne qui accouche d’une souris. Ce n’est pas un secret pour personne, y compris pour les composantes et les clans du système politique en place, que le peuple lors de toutes les marches, voire dans la révolution en marche qui a enclenché, revendique clairement et solennellement la rupture radicale avec le système politique, un refus catégorique au 5ème mandat, et sa forte demande de l’instauration d’une nouvelle République démocratique et sociale. La revendication d’un changement radical du système politique demeure
substantielle. Mais hélas, fidèle à sa nature autoritaire et à ses manœuvres politiciennes, le pouvoir fait la sourde oreille, en méprisant le peuple et les revendications légitimes de la révolution en marche menée depuis le 22 févier passé par les algériennes et les algériens.
La grande supercherie historique du système en place et ses relais est de s’offrir un mandat prolongé, avec les hommes du même système et avec les mêmes orientations, telle qu’ils ont essayé de l’imposer depuis le mois de janvier passé.
Effectivement ils l’ont imposé arbitrairement par » Un coup de pouvoir permanent « , sans respecter ni la constitution, ni les aspirations du peuple exprimées fortement, ni prendre en considération les dangers à venir de telles décisions. Il est clair que les décisions du système politique prises en nom d’Abdelaziz BOUTEFLIKA, ne sont que les tracés de la feuille de route qui envisage la reproduction des mêmes conditions historiques qui ont donné la naissance au système politique en place, dés lors à sa reproduction au détriment de la volonté populaire. En outre, face aux dernières décisions anticonstitutionnelles, absurdes, surréalistes, et méprisantes prises en nom du chef de l’État, le peuple a exprimé son refus catégorique à travers de nouvelles marches et le maintien de la mobilisation citoyenne pour un seul aboutissement à savoir le changement radical du système politique en place.
Comment situez vous la part de responsabilité du Ministère de l’Intérieur dans les répressions qui ont lieu ?
Loin de la personnalisation des problèmes politiques, le problème majeur en Algérie est essentiellement un problème de gouvernance, simplement un problème de système politique. Ce dernier repose depuis sa naissance à l’indépendance de l’Algérie, sur la nature militaire et répressive, ce qui a donné la gésine de quatre éléments « quatre modes de gestion opératoires » par lesquels le système politique algérien gère le pays. Le premier consiste à faire de l’institution militaire comme seule substance du système et le seul garant de sa pérennité. Le deuxième repose sur le fait de renforcer les institutions de répression, ce qui a donné naissance à « un Pouvoir-État sécuritaire ». Le troisième élément repose sur la politique de «violenciocratie», c’est-à-dire la gestion de la société par la violence. Les algériennes et les algériens gardent encore dans leurs mémoires les images des répressions violentes du printemps berbère en 1980, les images du soulèvement populaire d’octobre 1988 réprimé violemment, les images des événements du printemps noir en Kabylie en 2001, et comment le pouvoir a réprimé, tué et géré par la violence les manifestations, les images des répressions dont étaient victimes des acteurs des dynamiques sociales, des défenseurs des droits humains, des familles des disparus, des professeurs de médecine, des gardes communaux, des enseignants contractuels, des étudiants de pharmacie, des médecins résidents, des anciens militaires, …etc. Le quatrième élément repose principalement sur la formation des hommes de pouvoir, des ministres, des commis de l’État, qui gèrent les affaires de l’État à base de la répression, toutes les formes de répression. En effet, le nouveau premier ministre, ex-ministre de l’intérieur, n’est qu’un élément du système en place, un exécuteur des politiques du système et/ou d’un clan du système. Une image minutieuse de « l’autoritarisme chronique et contagieux » qui caractérise tous ceux qui ont géré et/ou qui gèrent actuellement pays.
Il avait également tenu des propos bien étranges sur le phénomène de l’immigration clandestine accusant la majorité de ces gens qui s’aventurent à traverser la mer méditerranée au risque et péril de leurs vies, sont attiré par le gain facile et un certain luxe dans l’autre rive, que pour des raisons
«socio-économiques défavorables». Déclaration qui a fait beaucoup polémique également.
Un commentaire ?
Le système en place et ses relais marchent sur la base d’une seule logique, à savoir ne jamais intégrer dans ses rangs des gens qui ne partagent pas leurs politique, leurs modes opératoires, leurs visions, leurs approches, leurs orientations et encore leur principal objectif bâtit sur la finalité de garantir leur pérennité. Par conséquence le choix des ministres et de tous les commis de l’État repose substantiellement sur l’adhésion totale et effective aux exigences des vrais détenteurs du pouvoir, c’est -à-dire, la totale soumission aux ordres de la caste dirigeante, l’appartenance idéologique et politique, le régionalisme, le clientélisme…etc. Dés lors les déclarations inacceptables tenues par l’ex ministre de l’intérieur sur le phénomène de l’immigration clandestine ne reflètent que la position de tout le système en place.
Considérez vous que ces déclarations sont une erreur de communication ?
Plutôt une stratégie qu’une erreur. Malheureusement aujourd’hui en Algérie, la situation de la communication institutionnelle est apparente plausible et fatale, et le silence de toutes les institutions de l’État, de la présidence de la République à la simple direction communale, passant par le gouvernement et les Wllayas, est inconcevable voire maladif. Les stratégies communicationnelles du système politique en place ont provoqué une situation politique de confusion, cette situation est caractérisée par l’émergence de doute au sein de la société, de la manipulation, de fausses orientations politiques, de la non fiabilité des discours et autres. En fait, à défaut de l’absence du rôle des institutions et la fragilisation dont elles souffrent, y compris les institutions souveraines de l’État, le pouvoir, le gouvernement, les ministres, les walis et autres commis de l’État, adoptent soit la « silenciocratie » c’est-à-dire la gestion par le pouvoir du silence, comme système qui assure l’immunité politique, un mode de gestion politique des affaires publiques, sinon de la «polémicocratie» c’est-à-dire, la gestion par le pouvoir de la polémique comme seule méthode efficace afin d’animer le débat politique et/ou de l’étouffer. Cette logique était le cheval de bataille de l’ex-ministre de l’intérieur sur plusieurs questions qu’a connues le pays, telles : La situation politique globale, la vacance du poste du président et sa maladie, la violation des lois, le problème qu’a vécu L’APN, les illégalités des élections sénatoriales passées, les atteintes répétées des droits humains, les problèmes socioéconomiques dont souffrent les citoyens, le phénomène de herraga, Les répressions dont étaient victimes les mouvements et les acteurs des contestations sociales et autres.
Ne croyez vous pas que cette nouvelle nomination soit une mauvaise idée, d'autant plus que la côte du nouveau premier Ministre est au plus bas ?
La question n’est pas liée essentiellement à la côte du nouveau premier ministre, qui est simplement un homme du pouvoir en place, un symbole parmi d’autres symbole du système vomis par une grande partie du peuple, mais elle est liée à la stratégie basée sur « la goutte à goutte », puisque les décideurs pensent à tort que les décisions prises dernièrement peuvent mettre fin au mouvement populaire. Au contraire le peuple poursuit toujours sa révolution en marche, et cette dernière ne cesse de prendre de l’ampleur. Le système en place suit simplement sa logique autoritaire, il change de noms, il crée de nouveaux postes pas plus. En un seul mot : Il se reproduit en dehors de toute légitimité et respects des lois de le République ; qu’il viole à chaque tournant historique.
En principe et comme le dit Milan Kundera : « En politique, le monde est blanc ou noir. Il n’y a aucune place pour l’ambiguïté, la contradiction, le paradoxe ». Mais surement la posture du système en place et sa position critique, et face à la révolution en marche enclenchée par le peuple, le système essaye de maintenir à la fois le chaos pour essouffler la dynamique populaire qui aspire un changement radical, et l’ambigüité pour gagner du temps après l’arrêt anticonstitutionnel du processus électoral, afin d’imposer la feuille de route du système pour « s’auto-sauver ». À l’heure actuelle, il est complètement très difficile de décoder avec précision la pensée future du système politique en place par rapport à la situation du pays, mais chose est sure, il a une pensée asymétrique et contradictoire, étant donné que le système change ses stratégies à chaque fois, notamment ses orientations dépendent des rapports de forces internes au sein du système, qui n’est pas homogène, des réactions des capitales étrangères qui s’émissent dans les affaire internes de l’Algérie pour leurs intérêts. D’ailleurs il suffit juste d’analyser les distinctes stratégies du système qu’il a adoptées depuis 1999, et/ou les différents discours politiques du président sortant. Mais à l’ère actuelle seule la mobilisation citoyenne, les revendications exprimées hautement par le peuple, et la continuité du mouvement populaire qui forceront le système à accepter l’enclenchement d’un véritable processus constituant garantissant un changement radical et l’avènement d’une nouvelle République loin des symboles du système.
Par la rédaction