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Les Algériens sont très forts : ils savent vexer Xavier Driencourt

Xavier Driencourt chez lui à Paris

Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France à Alger, a récemment formulé une phrase qui mérite de figurer dans le Panthéon des lamentations postcoloniales : « Les Algériens sont très forts, ils savent humilier les diplomates. »

Ah, l’humiliation… jadis instrument de domination des puissances coloniales, voici qu’elle se retourne contre ses anciens maîtres. Ironie historique ? Non, karma diplomatique. La guerre d’Algérie, officiellement terminée en 1962, n’a pas cessé de résonner dans les couloirs feutrés du Quai d’Orsay. Et voilà que ce qu’on croyait être une relation stabilisée, politiquement et symboliquement, montre des signes de tension persistants.

Derrière la phrase de Driencourt, qui s’apparente davantage à un soupir qu’à une analyse diplomatique, se cache un ressentiment aussi vieux que les luttes pour l’indépendance. Driencourt ne parle ni de visas, ni de coopération bilatérale, ni de questions économiques. Il parle d’un mal plus intime : la vexation nationale. Une Algérie qui se permet de snober la France, de ne pas suivre les signaux de son ancienne tutelle, voire de lui tenir tête ? Une humiliation, bien entendu.

Mais alors, de quoi parle-t-on vraiment ? S’agit-il d’une stratégie algérienne bien orchestrée — une « guérilla protocolaire » à la sauce FLN — ou est-ce un syndrome purement français, celui de la dignité piétinée chaque fois qu’un ancien colonisé ose se tenir droit ? Si l’on suit la logique du diplomate meurtri, toute affirmation d’égalité deviendrait une offense. Mais derrière cette blessure se cache une vérité plus complexe.

Loin d’être une tactique algérienne, ce que Driencourt perçoit comme de l’humiliation est peut-être simplement le renversement des rapports de domination symbolique. L’Algérie « sait vexer » parce qu’elle a cessé de jouer le jeu de la subordination. Et pour certains diplomates français, ce simple acte de se tenir droit et de refuser de se soumettre semble plus insupportable qu’un discours de Boumédiène en boucle.

En réalité, ce que Driencourt appelle « humiliation » pourrait bien être, ni plus ni moins, le fait d’avoir été reçu en égal — sans tapis rouge, sans gestes de gratitude forcée. Pour certains, cela représente déjà une défaite symbolique, une perte de contrôle. La vraie humiliation, en somme, est d’être confronté à une Algérie qui n’attend plus de permissions et qui parle avec une affirmation sereine de sa souveraineté.

Les Algériens ne cherchent pas à humilier. Et pourtant, ce n’est pas l’Algérie qui humilie la France. C’est plutôt la mémoire mal digérée de la France qui humilie, à chaque fois qu’elle exige la reconnaissance de sa grandeur passée sans être prête à regarder en face les plaies laissées par sa colonisation. Chaque fois qu’un ancien diplomate confond son ressentiment personnel avec un acte de guerre psychologique, la France se replonge dans ses vieux démons.

Les Algériens ne vexent pas. Ils rappellent que l’époque des « dominés muets » est révolue. Ils exigent d’être entendus. Et si cela vexe encore certains hauts fonctionnaires français, c’est peut-être le signe qu’il est temps de repenser les rapports de force.

Mais pourquoi Xavier Driencourt se sent-il humilié ? Parce que la France n’est plus en position de surplomb. Elle n’est plus l’ancienne puissance mondiale, imposant son ordre à ses anciennes colonies. Au contraire, la France se retrouve, parfois, à devoir écouter, à devoir comprendre les préoccupations des pays qu’elle a longtemps dominés.

Parce que l’Algérie ne demande plus la permission de parler fort. Elle n’a plus besoin de jouer la politesse diplomatique pour faire valoir ses intérêts. Quand un pays ne se plie plus aux règles de courtoisie imposées par ses anciens oppresseurs, cela peut être perçu comme une provocation. Pourtant, c’est simplement l’expression d’une souveraineté retrouvée.

Parce que, enfin, la mémoire coloniale est toujours là, elle n’a pas été digérée. Quand l’Algérie parle de réparations, d’excuses, ou de reconnaissance des tortures infligées pendant la guerre d’Algérie, elle ne fait que demander un examen de conscience, une réécriture des narrations historiques que la France a longtemps conservées sous son contrôle. Et ça, bien sûr, c’est vécu comme une humiliation — mais uniquement pour ceux qui refusent de remettre en question la version officielle de l’Histoire.

Parce que la France ne fait plus peur. Ce n’est plus l’ancienne puissance coloniale qui impose son pouvoir. L’Algérie n’a plus peur de la France. Elle se permet même de remettre en question son passé. Elle ne craint plus ses critiques. Elle se soucie davantage de son propre futur que de la réconciliation imposée par son ancien colonisateur. Cela, pour un pays qui a toujours vu dans ses anciennes colonies des vassaux à contrôler, c’est l’oubli ultime.

L’humiliation n’est peut-être qu’un autre nom pour la perte de centralité.

La France ne domine plus le récit, ne fait plus trembler ses anciennes colonies,

et surtout — sacrilège ultime — elle n’est plus le nombril du monde.

Il serait temps de s’y habituer.

Dr A. Boumezrag

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