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L’Algérie, richesse de la France, la France, fardeau de l’Algérie

Pétrole

Il fut un temps où l’Algérie ne se limitait pas à être une ligne de plus sur la carte de l’empire colonial français : elle en était l’un des piliers. Dès 1830, l’expansion coloniale française en Algérie s’accompagne d’une exploitation intensive des terres et des ressources naturelles. Le blé algérien nourrit la France, tandis que la vigne plantée par les colons devient l’un des principaux produits exportés.

Après la Seconde Guerre mondiale, l’Algérie fournit également à la France une main-d’œuvre abondante, indispensable à la reconstruction et à l’essor des Trente Glorieuses. Le minerai de fer des mines de Ouenza et Boukhdadra, ainsi que les hydrocarbures sahariens découverts dans les années 1950, renforcent la dépendance de la métropole à sa colonie.

Mais si la France a su tirer parti de l’Algérie, l’inverse est-il vrai ? Voilà une question qui dérange. Car derrière les discours officiels d’amitié et de coopération, une autre réalité se dessine : la France, loin d’avoir quitté l’Algérie en 1962, continue d’y peser, mais cette fois sous une autre forme, celle du fardeau politique, économique et même mémoriel.

Une dépendance bien entretenueL’indépendance aurait dû être synonyme d’émancipation, mais la France n’a jamais vraiment lâché prise. Les accords d’Évian de 1962, censés sceller une séparation nette, garantissent en réalité à la France un accès privilégié aux ressources énergétiques sahariennes jusqu’en 1971, date à laquelle Houari Boumédiène décide de nationaliser les hydrocarbures algériens. 

Cependant, cette rupture ne marque pas la fin de l’influence française. Les entreprises hexagonales, telles que Total ou Engie, restent omniprésentes en Algérie, perpétuant une forme de dépendance économique.

Plus tard, la coopération économique s’est transformée en un subtil rapport de domination. L’Algérie, bien que riche en ressources, continue d’importer massivement des produits français, notamment agroalimentaires et pharmaceutiques. La balance commerciale reste déséquilibrée, et Paris conserve une position de premier plan dans les investissements étrangers en Algérie. La dépendance technologique est un autre frein au développement : l’industrie algérienne, malgré ses tentatives de diversification, reste souvent tributaire du savoir-faire et des équipements français.

Et que dire du poids des élites formées à l’ombre de la France ? Ministres, hommes d’affaires, intellectuels, tous portent en eux l’empreinte d’un héritage qui refuse de s’effacer. Le système éducatif algérien, bien que réformé, conserve le français comme langue dominante dans l’administration et l’enseignement supérieur. Cette situation limite les ouvertures vers d’autres partenaires économiques et culturels, comme la Chine, la Russie ou la Turquie, pourtant de plus en plus présents sur la scène algérienne.

Comme le dira Mohammed Lacheraf dans les années 1970 : « Il arrivera un jour où l’Algérien ne saura pas un b.a.-ba, mais la France le lui vendra au prix que l’on sait. » Une prophétie qui, cinquante ans plus tard, résonne toujours avec force.

Un jeu d’ombres et de secrets bien gardésLes relations franco-algériennes ressemblent à une partie d’échecs où chaque camp avance ses pièces avec prudence, tout en veillant à ne pas trop dévoiler son jeu. Derrière les discours officiels se cachent des intérêts stratégiques, des accords tacites et surtout des vérités gênantes que ni Alger ni Paris ne veulent voir exposées.

Chacun détient des dossiers sensibles sur l’autre, des secrets d’État soigneusement dissimulés sous le tapis de la diplomatie. La France, par exemple, connaît les arcanes du pouvoir algérien, les tensions internes, les jeux d’influence au sommet, les circuits financiers obscurs. De son côté, l’Algérie n’ignore rien des exactions coloniales, des non-dits de la guerre d’indépendance, des complicités d’hier et des compromissions d’aujourd’hui.

Ainsi, les deux se tiennent mutuellement par la barbichette, contraints à un équilibre instable où personne ne peut frapper trop fort sous peine de voir des vérités explosives surgir au grand jour. Ce n’est plus une relation d’égal à égal, ni même un lien entre ancien colonisateur et ancienne colonie : c’est une cohabitation contrainte, faite de méfiance, d’intérêts et de menaces voilées.

Si la France a profité de l’Algérie pour bâtir sa puissance, elle lui a aussi laissé un cadeau empoisonné : les essais nucléaires réalisés au Sahara entre 1960 et 1966. Reggane et In Ekker résonnent encore comme des noms maudits, témoins d’une époque où la France testait sa force de frappe sans se soucier des conséquences. Aujourd’hui encore, le désert garde la trace de ces expériences : des zones contaminées, des populations exposées aux radiations, et un silence assourdissant du côté français lorsqu’il s’agit d’assumer la responsabilité du nettoyage. Si quelqu’un doit tenir le balai, ce serait bien à la France de le faire.

Mais l’ironie veut que l’Algérie, riche en hydrocarbures, soit elle-même prisonnière d’une autre pollution : celle de ses torchères de gaz, ces flammes éternelles qui illuminent le désert tout en empoisonnant l’atmosphère. Pendant que la France a laissé des déchets radioactifs enfouis sous le sable, l’Algérie brûle chaque jour une part de sa richesse, symbole criant d’une manne mal exploitée. Finalement, l’un a souillé la terre, l’autre l’air… et personne ne semble pressé de nettoyer.

Un divorce impossible ? La responsabilité de qui ? La France, l’Algérie ou les deux ? Ou ni l’un ni l’autre ?

Tout dépend du prisme sous lequel on analyse cette relation. La France a incontestablement profité de l’Algérie, hier et aujourd’hui. L’Algérie, bien que riche en ressources, s’est enfermée dans un modèle de dépendance. Un jeu de dupes s’est installé : chaque partie accuse l’autre tout en maintenant des liens étroits. 

Peut-être faut-il voir dans cette relation un cas d’école du néo-colonialisme moderne : une indépendance en trompe-l’œil, où l’ancien maître n’a jamais totalement lâché prise et où l’ancien dominé peine à s’affranchir complètement.

Finalement, comme l’aurait dit Coluche : « L’indépendance, c’est comme une grande fête. Après, il faut nettoyer. » Encore faut-il savoir qui tient le balai…

Dr A. Boumezrag

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