Histoire de Kabylie, le point de vue kabyle», de Youcef Zirem.
Une traversée de l’histoire de la Kabylie de l’antiquité à nos jours.
«Histoire de Kabylie, le point de vue kabyle», de Youcef Zirem aux éditions Yoran Embanner, est un livre passionnant, si étonnant par la force de la narration qu’on s’y croirait. On peut dire que l’écrivain Youcef Zirem nous a surpris avec ce livre d’histoire écrit par un kabyle sur cette région d’Algérie habitée par les berbères kabyles depuis la préhistoire. Jusqu’ici nous étions habitués à voir des auteurs étrangers à notre culture écrire sur notre histoire.
Youcef Zirem est le premier kabyle à écrire sur l’histoire de son peuple dont les origines remontent à la nuit des temps. Les Kabyles sont un peuple pacifique qui a fait de la liberté et de la poésie depuis des milliers d’années un art de vivre où les contes, les chants, font partie du quotidien. Le livre se présente comme un résumé condensé exhaustif de l’histoire de la Kabylie.
La couverture de la première édition du livre est un dessin représentant Si Mohand Ou Mhand, le célèbre poète kabyle de l’errance et de la révolte, de la confédération des Aït Iraten. Il est né entre 1840 et 1845 à Icheraiouen, à Larbaâ Nath Irathen, et mourut le 28 décembre 1906 à l’hôpital des Sœurs blanches, près de Michelet (Aïn- El-Hammam) il est enterré au cimetière de Tikorabin, Asqif Netmana (le portique de la sauvegarde), dans le coin réservé aux étrangers. Si Mohand Ou Mhand a marqué la deuxième moitié du 19ème siècle et le début du 20ème siècle.
Si Mohand Ou Mhand a été poussé sur les routes après la destruction de son village par les français. Il n’accepta pas le nouvel ordre dicté par l’occupant refusant toute compromission avec la présence coloniale, il vécut en poète errant libre, égrainant des rimes, jamais soumis, maniant le verbe kabyle avec grand art, dénonçant le colonialisme et les travers de son temps.
Si Mohand Ou Mhand est entré dans la légende de son vivant comme ce fut le cas du poète chanteur kabyle Slimane Azem dans la deuxième moitié du 20ème siècle qui refusa toute compromission avec le pouvoir autoritaire de l’Algérie indépendante qui allait museler les libertés démocratiques et tenter d’effacer l’identité millénaire berbère. En fervent défenseur des libertés démocratiques et de son identité kabyle berbère occultée par l’Algérie indépendante, Slimane Azem fut contraint à l’exil. Il mourut en France en 1983.
La couverture de la réédition du livre est un dessin représentant l’héroïne guerrière kabyle Fadhma N’Soumer qui a résisté à la conquête française de 1849 à 1857. Elle est née en 1830 dans le village de Werja (Ouerdja), situé sur la route menant d’Aïn El Hemmam vers le col de Tirourda. Elle mena une résistance armée acharnée contre les Français. Le 27 juillet 1857, elle fut arrêtée au village Takhlicht Nath Atsou. Fadhma N’Soumer meurt en captivité en septembre 1863 à l’âge de 33 ans à Tablat. Ses cendres ont été transférées en 1994 à El Alia à Alger.
Il n’est pas aisé d’être le premier kabyle à écrire l’histoire de cette région et pourtant Youcef Zirem l’a fait avec le talent et la magie féconde pour nous captiver et nous émerveiller, dans un élan poétique de conteur, qu’ont seulement les plus grands écrivains. Les kabyles sont un peuple épris de liberté, véhiculant les plus hautes valeurs humaines, d’entraide, d’hospitalité, de démocratie, de droit d’asile, où la prison n’existe pas, où le fonctionnement du pouvoir ne génère aucun salaire. Les kabyles sont un peuple berbère constitué en tribus, en villages, en fédérations et confédérations.
« Histoire de Kabylie » est donc une plongée dans l’histoire millénaire de cette partie d’Afrique du nord, la partie Algérienne, la Kabylie, à travers l’histoire si riche de cette Afrique du nord berbère. Le Kabyle a toujours défendu sa langue, sa culture et sa liberté depuis des millénaires. Cette terre africaine du soleil, de toutes les richesses, était très convoitée, les envahisseurs furent nombreux. Le peuple kabyle a résisté depuis des siècles aux différentes invasions, en préservant sa langue et sa culture qui sont toujours vivaces de nos jours. Il n’a jamais plié jusqu’à l’arrivé des français. Le kabyle qui a vécu en harmonie avec la nature qui l’entoure n’a pas résisté à la politique de la terre brûlée organisée par ceux-ci.
C’est vers l’an 1000 avant J-C, que les Phéniciens installent des comptoirs le long de la côte nord-africaine pour asseoir leur domination commerciale en méditerranée, s’accommodant avec les royaumes numides avant que les Romains en fins stratèges, concurrents militaires et commerciaux ne viennent à leur tour tenter d’imposer leur domination sur l’Afrique du Nord berbère. Les kabyles comme les autres peuples berbères ont résisté à leur pénétration. Mais la convoitise de cette Afrique du nord va grandissante et la Kabylie va subir d’autres invasions, les Vandales, les Byzantins, les Arabes, les Espagnols, les Turcs et les Français. Islamisés les kabyles vont participer à la fondation de plusieurs dynasties berbères musulmanes dont la dynastie des fatimides qui fonda le Caire en l’an 969.
La domination turque n’a pas réussi à soumettre la Kabylie et les français ne viennent à bout de la résistance Kabyle qu’en 1872. «Lorsque la guerre d’Algérie éclate, la Kabylie est l’un des plus grands bastions de cette lutte pour la liberté. Mais une fois l’indépendance acquise, le régime d’Alger n’a de cesse de marginaliser cette région qui ne se laisse pas faire. La Kabylie se bat toujours pour ses valeurs, sa langue et sa culture.»
Youcef Zirem traverse l’histoire avec élégance relatant avec finesse l’essentiel. On apprend aussi énormément sur l’histoire contemporaine de la Kabylie, de l’indépendance à nos jours. Si aujourd’hui l’obscurantisme tente de lui faire perdre ses repères, son esprit libre et démocratique, il n’y parviendra pas, car les kabyles sont conscients du danger et semblent vouloir prendre leur destin en main. La Vérité, la liberté en sortiront vainqueurs, la lumière effacera les oppresseurs.
Youcef Zirem réussit un coup de génie pour un livre d’histoire, donner la parole à quelques intellectuels pour donner leur point de vue sur l’histoire de la Kabylie et réactualiser le livre en l’augmentant de plusieurs pages à chaque nouvelle réédition.
Brahim SACI