Depuis la fin du mois de février, les manifestants qui défilent dans les rues algériennes avaient pris l’habitude de brandir des portraits de figures disparues de la guerre d’Algérie, symboles, selon eux, d’une « indépendance trahie » par le régime.
Vendredi 5 juillet, jour de mobilisation hebdomadaire qui coïncide avec le 57e anniversaire de l’indépendance, ils devraient y ajouter un nouveau visage. Celui d’un homme toujours vivant cette fois, et désormais en prison.
Vétéran de la guerre d’indépendance et ancien commandant de l’Armée de libération nationale (ALN), Lakhdar Bouregaâ, 86 ans, a été placé dimanche 30 juin en détention provisoire pour « outrage à corps constitués et atteinte au moral de l’armée »,a annoncé la télévision nationale. Il encourt jusqu’à dix ans de prison.
Emblèmes interdits
Lakhdar Bouregaâ a été arrêté samedi à son domicile algérois par deux hommes en civil qui s’étaient présentés comme des militaires, selon son petit-fils, Imad Bouregaâ. Détracteur féroce du régime et du chef de l’état-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah, l’ancien maquisard l’avait accusé de vouloir imposer « son » candidat lors d’un futur scrutin présidentiel : « Le pouvoir a déjà le nom du futur président de la République et cherche un moyen pour le légitimer », estimait-il le 27 juin. C’est cette déclaration qui aurait conduit à son arrestation, selon Imad Bouregaâ.
Né en 1933, Lakhdar Bouregaâ avait rejoint l’ALN en 1956. Commandant de bataillon dans la « Wilaya 4 », dans le centre du pays, il s’opposa à la prise du pouvoir à l’été 1962 par « l’armée des frontières », les unités de l’ALN stationnées au Maroc et en Tunise, dirigées par le colonel Boumédiène, qui formeront le socle du nouveau régime après l’indépendance.
Le Front des forces socialistes, le plus ancien parti d’opposition d’Algérie, dont Lakhdar Bouregaâ est l’un des membres fondateurs, a exprimé sa « colère » et sa « consternation » tandis que la principale formation islamiste, le Mouvement de la société pour la paix – qui jusqu’à présent refusait de condamner les arrestations d’opposants – appelle à la « libération immédiate du moudjahid Lakhdar Bouragaâ ».
Un collectif national d’avocats était en voie de constitution, dimanche, pour défendre l’ancien combattant alors que les arrestations se sont poursuivies ces derniers jours. En plus de M. Bouregaâ, seize manifestants, dont une élue de l’assemblée territoriale de la wilaya de Tizi-Ouzou (Kabylie) ont été placés en détention provisoire par la justice algérienne. Tous avaient été arrêtés vendredi 28 juin pour port d’un « emblème autre que le drapeau national ».
Le général Ahmed Gaïd Salah a fait savoir mi-juin qu’aucun autre drapeau que l’emblème national ne serait désormais toléré dans les défilés, où les emblèmes berbères étaient très présents depuis le début des manifestations. Depuis le 21 juin, 34 personnes, arrêtées en possession de drapeaux berbères, ont été inculpées pour« atteinte à l’unité nationale ». Elles risquent dix ans de prison.
Par Madjid Zerrouky
Source Le Monde