Riposte Internationale exprime sa vive préoccupation à la suite du communiqué publié le 28 octobre 2025 par KOUKOU Éditions, relatant une troisième exclusion consécutive du Salon international du livre d’Alger, ainsi qu’un enchaînement de décisions administratives et judiciaires qui, selon l’éditeur, s’appuieraient sur un rapport secret des services de sécurité. La confirmation d’une ordonnance de non-lieu par la Chambre d’accusation aurait empêché la tenue d’un procès public où les pièces et témoignages auraient pu être débattus de manière contradictoire. De précédents incidents rapportés depuis 2016, allant de la mise à l’écart d’ouvrages à des retraits informels en librairie, dessinent un schéma de restrictions qui, s’il était avéré, excède largement la simple gestion du bon ordre d’un salon du livre et relève d’une censure de fait.
La Constitution algérienne consacre la liberté d’expression et d’édition. L’article 54 rappelle que l’activité des publications ne peut être interdite qu’en vertu d’une décision de justice. Ce principe implique un contrôle juridictionnel effectif, l’accès au dossier, la publicité des débats et la possibilité pour les personnes concernées de faire valoir leurs moyens. La hiérarchie des normes impose que toute mesure limitative portée par une autorité administrative ou par un organe placé sous tutelle ministérielle soit prévue par la loi, poursuive un objectif légitime et respecte les exigences de nécessité et de proportionnalité. Les juridictions ont en outre la responsabilité d’assurer la primauté de la Constitution sur toute instruction interne ou document non publié, surtout lorsque celui-ci conditionne l’accès d’un acteur culturel à un espace public de débat.
L’Algérie est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Son article 19 protège la liberté d’expression, y compris la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées. Le Comité des droits de l’homme, dans son Observation générale n° 34, précise que toute restriction doit être prévue par la loi, poursuivre un but légitime et être strictement nécessaire, et souligne la méfiance à l’égard des limitations fondées sur des motifs vagues ou des pièces non accessibles au public. L’Algérie est également liée par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Son article 9 garantit le droit de recevoir et de diffuser des informations, ainsi que la libre expression des opinions. La Déclaration de principes sur la liberté d’expression et l’accès à l’information en Afrique, adoptée par la Commission africaine en 2019, rappelle que la censure préalable est incompatible avec un régime démocratique et que les autorités doivent privilégier des procédures transparentes et des voies de recours rapides. Enfin, l’article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels protège le droit de participer à la vie culturelle, ce qui inclut l’accès non discriminatoire aux espaces de diffusion du livre et des idées.
Lorsque des exclusions sont motivées par des documents non publics, non contradictoirement discutés et non soumis à un contrôle indépendant, la sécurité juridique est compromise. L’absence de motivation claire et accessible empêche toute compréhension des faits reprochés et prive les auteurs et éditeurs de la possibilité d’adapter leur conduite ou de contester utilement la mesure. La répétition d’évictions ciblant un même éditeur actif depuis deux décennies engendre un effet dissuasif sur les professionnels du livre et restreint de manière tangible la pluralité des voix. L’ensemble crée un climat d’incertitude incompatible avec les garanties constitutionnelles, avec l’article 19 du Pacte et avec l’article 9 de la Charte africaine.
Riposte Internationale demande la publication intégrale et sans délai de toute pièce ayant fondé les mesures prises à l’encontre de KOUKOU Éditions, afin de permettre l’exercice effectif des droits de la défense et le contrôle du juge. À défaut d’une décision judiciaire motivée, fondée sur une base légale claire et répondant aux critères de nécessité et de proportionnalité, nous appelons à la levée des exclusions et à la réintégration de l’éditeur dans les salons du livre ainsi qu’au règlement des différends commerciaux ou contractuels selon des procédures régulières. Nous demandons la garantie d’une audience publique au fond, avec accès au dossier, audition des parties et possibilité de constitution de parties civiles pour les auteurs directement affectés.
Nous appelons les autorités compétentes, notamment le ministère de la Culture, les commissariats de salons et les entreprises publiques gestionnaires de librairies, à se doter et à publier des procédures claires d’admission, de refus et de retrait d’ouvrages. Ces procédures doivent s’inscrire dans la loi, indiquer les critères précis, prévoir une notification motivée, offrir un recours rapide et suspensif et respecter les standards internationaux de liberté d’expression. Une formation régulière des responsables concernés au droit de la liberté d’expression et aux obligations internationales de l’Algérie contribuerait à éviter les dérives. Un mécanisme de dialogue permanent avec les éditeurs, auteurs, libraires, syndicats du livre et organisations de défense des droits humains permettrait d’anticiper les tensions et de favoriser la médiation plutôt que l’éviction.
Nous invitons la Présidence de la République, le Gouvernement et le Conseil supérieur de la magistrature à réaffirmer publiquement la primauté de la Constitution et l’interdiction de toute censure de fait, à garantir l’indépendance des juridictions dans l’examen de litiges touchant à la liberté d’expression et à ordonner que les administrations s’abstiennent de se fonder sur des rapports non publiés pour limiter l’accès aux espaces culturels. La vitalité d’un salon du livre se mesure à la diversité des idées qui s’y confrontent pacifiquement et à la confiance que les citoyens accordent à la transparence des décisions publiques.
La liberté d’expression et les droits culturels ne sont pas des concessions accordées au gré des circonstances, ce sont des droits opposables qui protègent la société tout entière. La censure informelle n’apporte ni sérénité ni stabilité. Elle nourrit la défiance, tarit le débat public et affaiblit les institutions chargées de garantir l’État de droit. Riposte Internationale se tient aux côtés des auteurs, des éditeurs, des libraires et des lecteurs pour défendre un espace de discussion ouvert, fondé sur la loi, la raison et la dignité.
Fait à Montreuil, le 30 octobre 2025
Riposte Internationale
Pour le Bureau Fédéral
P/R Ali Ait Djoudi+33.6.34.36.62.29
