Au printemps 2025, les relations franco-algériennes semblent à un tournant, mais sous les discours réconciliateurs et les sourires diplomatiques, une plaie profonde continue de gangrener les deux nations.
Cette plaie n’est pas simplement une blessure superficielle à panser ; elle est gangrenée, et le pronostic vital est désormais prononcé. Dans un monde géopolitique de plus en plus complexe, il est urgent de se poser la question cruciale : faut-il attendre que cette blessure se cicatrise d’elle-même, ou faut-il enfin engager une opération chirurgicale à l’échelle des deux rives de la Méditerranée, loin des sirènes du passé ?
Les pansements du passé ne suffisent plus : la plaie est trop profonde
Le passé colonial et la guerre d’indépendance algérienne, bien que lointains en apparence, restent la gangrène qui empire la relation franco-algérienne. Depuis des années, des gestes ont été faits : des excuses, des reconnaissances symboliques, des discours de réconciliation. Mais ces gestes ressemblent souvent à des pansements sur une plaie qui ne guérit pas, à des réparations superficielles qui évitent la confrontation avec les racines du mal.
Le 15 octobre 2021, un tournant a été franchi lorsque le président français Emmanuel Macron a reconnu officiellement la responsabilité de la France dans les exactions de la guerre d’Algérie. Mais après cette reconnaissance symbolique, qu’a-t-on fait de plus ? Est-ce que la France, mais aussi l’Algérie, ont pris le temps de traiter sérieusement ce passé qui continue de définir leurs relations ?
Le diagnostic : une tumeur en devenir
Sous cette plaie, une tumeur reste latente, prête à se manifester à tout instant. Cette tumeur, c’est la géopolitique actuelle. La relation franco-algérienne est marquée par des divergences profondes sur les enjeux contemporains. La guerre au Sahel, la question de la souveraineté algérienne, les désaccords sur les interventions militaires françaises, la question des réfugiés et de l’immigration sont autant de points de friction.
L’Algérie, qui a toujours vu dans les interventions militaires françaises dans la région un retour néo-colonial déguisé, perçoit d’un mauvais œil les opérations militaires françaises. De son côté, la France ne peut ignorer l’importance stratégique de l’Algérie, notamment pour ses réserves de gaz naturel et en tant que porte d’entrée vers l’Afrique. Mais cette relation reste minée par des méfiances mutuelles et des intérêts contradictoires.
Il y a aussi la question de l’immigration : depuis des années, l’Algérie se sent victime des politiques migratoires françaises. Paris, pour sa part, reproche à l’Algérie de ne pas faire assez pour lutter contre l’immigration illégale.
Le piège du double échec : entre Algérie et France
Mais au-delà de ces enjeux diplomatiques, un autre mal plus profond gangrène la relation franco-algérienne : le désespoir de la jeunesse. Les jeunes générations franco-algériennes, qu’elles soient en Algérie ou en France, se retrouvent dans une impasse où l’absence de perspectives et de solutions concrètes les pousse parfois vers des choix désespérés. En Algérie, le taux de chômage est élevé, la corruption omniprésente, et le système politique verrouillé. En France, beaucoup de jeunes d’origine algérienne, souvent issus de quartiers populaires, se heurtent à la discrimination, à l’isolement, et à un manque d’opportunités réelles.
Ce désespoir prend des formes tragiques. Nombreux sont ceux qui se jettent dans la mer Méditerranée en quête d’une vie meilleure, risquant leur vie dans une traversée périlleuse. D’autres, désemparés, se tournent vers des idéologies extrémistes ou la violence, croyant que cette voie leur offrira une identité ou un sens à leur existence. La France et l’Algérie sont devenues des spectatrices impuissantes de ce désespoir croissant. Les pouvoirs sont déconnectés des besoins réels de leurs populations, et cette fracture s’élargit de jour en jour.
Une déconnexion tragique entre les gouvernements et la jeunesse
Les pouvoirs en place, qu’ils soient à Paris ou à Alger, semblent déconnectés de cette réalité sociale. Les gestes symboliques de réconciliation ne répondent pas aux problèmes quotidiens de la jeunesse. Les réformes économiques et sociales sont insuffisantes, et la question de l’intégration des jeunes d’origine algérienne reste non résolue.
L’Algérie, souvent perçue comme un régime autoritaire, semble incapable de répondre aux attentes de sa jeunesse. La France, quant à elle, se trouve dans une situation délicate où les politiques migratoires sont perçues comme discriminatoires, exacerbant les tensions entre les deux pays. Mais ce n’est pas seulement une question de politique étrangère, c’est une crise sociale et générationnelle qui se joue dans l’indifférence des gouvernements.
Il est clair que les pansements symboliques ne suffisent plus. La plaie est gangrenée, et si l’on attend qu’elle se cicatrise d’elle-même, elle finira par mettre en danger la stabilité des deux nations et même de la région. Il est temps d’agir avec maturité et au-delà des intérêts du passé.
Les deux pays doivent comprendre qu’un véritable changement de paradigme est nécessaire. Les réparations symboliques ne suffisent plus. Une nouvelle diplomatie franco-algérienne, plus réaliste et plus pragmatique, doit émerger, en prenant en compte les enjeux géopolitiques contemporains sans se laisser enfermer dans les schémas du passé. Les deux pays doivent agir ensemble pour guérir cette plaie et surmonter les obstacles qui les séparent, afin de construire une relation fondée sur la coopération et la reconnaissance mutuelle.
Il est urgent d’agir. Une cicatrice qui gratte, certes, mais qui cache une tumeur de plus en plus menaçante. Si la France et l’Algérie veulent vraiment tourner la page, il ne suffira pas de faire de belles promesses et de poser des gestes symboliques. Un engagement sincère et une volonté radicale de changement sont nécessaires. Ce n’est plus une option, mais une nécessité pour éviter que cette plaie ne se transforme en gangrène irréversible.
Derrière les discours officiels et les déclarations diplomatiques se cachent des maux bien plus profonds. Ces fractures historiques et géopolitiques continuent de façonner la relation entre la France et l’Algérie. Les jeunes des deux rives ne peuvent plus attendre. Le temps est venu d’une opération diplomatique qui traite le mal à sa racine, d’une véritable transformation pour éviter de sombrer dans un avenir incertain et dangereux.
Dr A. Boumezrag