Noureddine Bedoui au poste de Premier ministre en remplacement d’Ahmed Ouyahia. Il hérite de «l’homme des sales missions». Le peuple ne décolère pas. «Ils cherchent à nous faire passer pour des imbéciles qui ne comprennent rien. Or, ils se trompent. Remplacer Ouyahia par Bedoui ne change rien.
Ce sont des pions qu’ils font bouger à leur guise et ils cherchent à ce qu’on accepte», commente Mohamed, un jeune étudiant de 24 ans.
Pour Mahrez Bouich, enseignant chercheur en philosophie politique à l’université Abderrahmane Mira de Béjaïa, la supercherie historique du système en place et de ses relais est de s’offrir un mandat prolongé, avec les hommes du même système et aux mêmes orientations, comme il a essayé de l’imposer depuis le mois de janvier dernier. «Ils l’ont imposé arbitrairement par ’un coup de pouvoir permanent’, sans respecter ni la Constitution ni les aspirations exprimées par le peuple, sans prendre en considération les dangers à venir de telles décisions», explique-t-il.
Selon lui, les décisions du système politique prises au nom du chef de l’Etat ne sont que les tracés de la feuille de route qui envisage la reproduction des mêmes conditions historiques qui ont donné la naissance au système politique en place, dès lors à sa reproduction au détriment de la volonté populaire.
Cette nouvelle nomination fait polémique. Pour Habib Tiliouine, professeur-chercheur à la faculté des sciences sociales de l’université Oran-2, cette appellation s’applique à toute l’équipe qui a mené le pays vers l’impasse où il se trouve actuellement. Il explique : «Ils sont tous les mêmes. Des éléments du même système, pour servir les mêmes finalités. Malheureusement, ils ont tous contribué à la destruction systématique des valeurs qui constituent le corps de toute société humaine.»
Pour lui, les gouverneurs actuels se croient au dessus de la loi. «Ils ne présentent aucun bilan. Ils ne donnent aucun chiffre fiable ou vérifiable. Et à présent, ils essayent de contourner les revendications du peuple de sa cause principale qui est changer ce système défaillant», ajoute-t-il.
Le sociologue se désole du fait qu’on «soit gouvernés par la ruse, par des automates qui n’ont aucune philosophie, aucune vision du future, qui suivent leur instinct primitif de gain matériel et n’ont de loyauté que pour leurs ventres».
Pour lui, la répression, la fuite en avant et la procrastination face aux exigences d’une société en perpétuel dynamisme ne doivent pas rester les seuls mécanismes de travail. Notre population a surtout besoin de leaders, d’hommes d’Etat qui se respectent. Bedoui, il a bien accompli plusieurs «sales missions». C’est un héritage mérité, faut-il le dire.
1 – Ministre des répressions
«N’oubliez pas que c’est lui qui est derrière les violentes répressions des médecins résidents, des étudiants en pharmacie ou encore des retraités de l’ANP.» Cette sentence est relayée sur les pages Facebook. En effet, tout le monde se rappelle des répressions massives et violentes des membres de la Coordination nationale des retraités, blessés, radiés et ayants droit de l’ANP, lors de leurs différentes tentatives de tenir des sit-in devant l’APN ou alors qu’ils essayaient de rejoindre la capitale. Idem pour les étudiants en pharmacie et en chirurgie dentaire qui ont été violemment réprimés par les forces de sécurité.
Même cas de figure pour les nombreux rassemblements organisés par le Collectif des médecins résidents, où des policiers, déployés en force à l’entrée de l’hôpital, ont fait usage de matraques. Résultat : des dizaines de résidents blessés, dont plusieurs grièvement. Même si l’ancien Premier ministre a annoncé l’ouverture d’une enquête sur la répression policière qui s’était abattue sur ces derniers lors de leur sit-in au centre hospitalo-universitaire Mustapha-Pacha à Alger, «le mal est fait», commentent les internautes.
Comment situer alors la part de responsabilité du ministère de l’Intérieur, et donc Noureddine Bedoui, dans ces répressions ?
Pour Mourad Goumiri, politologue, le ministère de l’Intérieur est un ministère de souveraineté, ce qui signifie qu’il a des charges ainsi que des prérogatives immenses (wilayas, daïras et communes), en plus de la DGSN, de la Protection civile et de la Fonction publique. Et son budget est conséquent. Il est donc évident, selon le politologue, que le choix du titulaire doit répondre à des critères stricts. «Dans notre pays, le premier critère est son inféodation totale au Président.
J’avais d’ailleurs annoncé sa promotion au poste de Premier ministre il y a de cela une année, car il correspond idéalement au profil recherché par le pouvoir – docilité, obéissance et capacités très limitées – ce qui permet au pouvoir de faire de lui tout ce qui veut, sans crainte qu’il le trahisse ou se rebelle», explique-t-il.
S’agissant de la répression de tous les mouvements sociaux, «il faut dire, à sa décharge, qu’il les endosse mais qu’il n’est pas le décideur final», assure Mourad Goumiri. Pour lui, la DGSN lui échappe et les walis cooptés également, la gendarmerie davantage : «Il est donc exécutant mais très peu acteur, mais il assumera toute la responsabilité en cas de dérapage et servira de fusible au pouvoir s’il faudra un jour sacrifier quelqu’un.»
2-Fraude
Ce qui a également rythmé le mandat de l’ancien ministre de l’Intérieur, ce sont les nombreux cas de fraudes, notamment lors des élections législatives. D’ailleurs, le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) avait dénoncé avec force, en 2017, ce qu’il a appelé «une fraude électorale informatisée».
Dans un communiqué, le parti de Belabbès a estimé que le ministère de l’Intérieur a «préparé le terrain pour la fraude électorale en donnant aux walis la possibilité d’intervenir sur les procès-verbaux des communes». Il avait donc sommé le ministère de l’Intérieur deretirer sans tarder ce système de manipulation mis en place par l’administration. «Si cette grossière instrumentalisation n’est pas immédiatement retirée, il faudra que chacun en assume les conséquences», avait mis en garde le RCD.
Le chef du Mouvement pour la société de la paix (MSP), Abderrezak Makri, avait lui aussi dénoncé «la fraude qui a émaillé le scrutin des législatives». En effet, lors d’une conférence de presse conjointement animée avec Abdelmadjid Menasra, élu de l’alliance MSP-FC (Front du changement), Makri a affirmé : «Le scrutin est entaché d’une fraude organisée et à grande échelle.» Menasra, quant à lui, avait qualifié les élections législatives de «jeu cousu de fil blanc par le pouvoir».
3 -Harraga
Aucune donnée officielle, mais on apprend que depuis le 22 février, il n’y a pas eu d’embarcation de harraga ! Avant cette date, on vivait au rythme des disparitions en mer de nos jeunes. Bedoui disait de ces jeunes : «Ceux qui s’aventurent à traverser la mer Méditerranée au risque de leur vie sont plus attirés par le gain facile et un certain luxe sur l’autre rive, que pour des raisons socioéconomiques défavorables.» Une déclaration polémique.
Pour l’enseignant chercheur Mahrez Bouich, ces déclarations inacceptables ne reflètent que la position de tout le système en place. Il explique : «Le système en place et ses relais marchent sur la base d’une seule logique, à savoir ne jamais intégrer dans leurs rangs des gens qui ne partagent pas leur politique, leur mode opératoire, leurs visions, leurs approches, leurs orientations et encore leur principal objectif bâti sur la finalité de garantir leur pérennité.»
4 – Privatisation des cantines
Autre décision de Noureddine Bedoui alors qu’il était encore ministre de l’Intérieur : la privatisation des cantines scolaires. Gérées, depuis janvier 2017, par les APC, l’ancien ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales avait annoncé que les cantines des écoles primaires seraient confiées aux petites entreprises privées. Une annonce qui a suscité de nombreuses réactions auprès des syndicats du secteur et des parents d’élèves. Tous unanimes : ils rejettent catégoriquement cette proposition, refusant toute forme de privatisation dans le secteur de l’éducation.
A cet effet, Bachir Hakem, professeur du cycle secondaire à la retraite, explique : «La privatisation des cantines scolaires entraînera directement la recherche du profit de la part du privé et non l’amélioration de l’état des infrastructures de ces cantines ni la qualité des repas. La restauration de 4 millions d’élèves nécessite un budget conséquent. Ce qui ouvrira forcément la voie à la corruption.» On lui reproche aussi d’être à l’origine des répressions des libertés syndicales et la répression des partis politiques.
Source journal El Watan
Par Sofia Ouahib