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Algérie : une opposition sans pouvoir face à un pouvoir sans opposition

Tebboune

Le paysage politique évoque en Algérie une scène de théâtre où les protagonistes jouent des rôles qu’ils n’ont jamais vraiment maîtrisés. Un véritable théâtre d’ombres en vrai.

D’un côté, un pouvoir autoritaire, usant d’un nationalisme douteux et qui règne sans véritable contestation. De l’autre, une opposition qui ne produit guère plus que des déclarations vides et des indignations timides. Une opposition sans projet réel, ni assise populaire. Entre ces deux forces, un peuple spectateur, désabusé, assiste à ce combat déséquilibré dont l’issue ne fait plus de doute.

Traditionnellement, une opposition politique devrait offrir une alternative, une contestation, voire constituer une menace pour le pouvoir en place. Cependant, en Algérie, elle semble plutôt être une nécessité symbolique, tolérée tant qu’elle demeure dans les limites imposées. Son rôle se résume à embellir le décor démocratique, organiser des conférences peu médiatisées, signer des pétitions qui tombent dans l’oubli et, parfois, se voir interdire une réunion, juste pour rappeler son existence. Elle manque d’ancrage populaire et de relais institutionnels. Ses discours n’atteignent pas la rue, en raison d’une absence de réelle présence. Ses dirigeants sont soit cooptés, soit marginalisés, soit épuisés par une lutte où ils savent qu’ils ne disposent pas des mêmes armes. La dynamique qui les anime semble se limiter à des divisions internes et des querelles stériles qui les rendent inaudibles.

Face à cette opposition, le pouvoir n’a même plus besoin de se justifier. Pourquoi recourir à une répression brutale lorsque l’apathie générale est plus efficace que n’importe quelle censure ? Pourquoi falsifier des élections quand les citoyens ont déjà abandonné les urnes ? Il n’y a pas d’opposition à museler quand celle-ci se condamne elle-même à l’impuissance. Le véritable adversaire du régime n’est plus cette opposition institutionnelle, mais l’indifférence du peuple, un désengagement massif qui se manifeste par une abstention record et un désintérêt total pour la politique. Pourquoi jouer quand les dés sont pipés ?

Plus de 63 ans après l’indépendance, le tableau reste inchangé. Un pays qui avance à tâtons, un pouvoir qui gère sans gouverner, et une opposition qui conteste sans influence. De temps à autre, un frémissement, une déclaration passionnée, une figure qui surgit avant de se volatiliser. Mais, au final, tout revient à la case départ : une opposition sans pouvoir face à un pouvoir sans opposition. Et si le véritable parti d’opposition en Algérie n’était pas celui qui se proclame tel, mais bien le silence du peuple ?

Dans une démocratie fonctionnelle, l’opposition devrait agir comme un contre-pouvoir. En Algérie, elle se contente d’être un figurant, oscillant entre indignation impuissante et résignation. Elle critique, dénonce, condamne, mais sans jamais froisser les véritables lignes de front. Car ici, une opposition trop dérangeante finit souvent en exil, en prison ou en retraite anticipée. Le régime excelle à sélectionner ses adversaires. Une opposition trop virulente est rapidement écartée, tandis qu’une opposition docile est tolérée, maintenant ainsi l’illusion de pluralisme. Quelques partis, quelques débats, quelques apparitions médiatiques sont autorisés, mais dès qu’une voix tente de s’affirmer, elle se heurte à un mur invisible, celui de l’« ouverture contrôlée ». L’opposition peut aboyer, tant qu’elle ne mord pas.

De plus, une partie de cette opposition s’est elle-même neutralisée. Trop préoccupée par ses dissensions internes et par la quête de postes, elle finit par servir, sans le vouloir, le pouvoir qu’elle prétend combattre. Ce dernier n’a même plus besoin de convaincre. Autrefois, il justifiait son autorité par des discours sur la stabilité ou la légitimité historique. Aujourd’hui, il n’en ressent même plus le besoin, car personne ne questionne son autorité. Les manipulations électorales ne sont plus nécessaires, car la majorité des électeurs ne se rend même plus aux urnes. Les partis d’opposition se noient dans leur propre inefficacité.

Le véritable génie du système algérien réside dans sa capacité à rendre la contestation superflue. Dépourvue de toute pouvoir. À quoi bon manifester quand rien ne change ? À quoi bon s’investir quand le jeu est truqué ? Cette démission collective constitue la meilleure garantie de la pérennité du régime.

Si l’opposition est réduite à un rôle de figurant, les Algériens ne croient plus en l’opposition, mais ils ne croient pas non plus en le pouvoir. Un gouffre insurmontable sépare désormais le peuple des dirigeants. En désespoir de cause, les Algériens choisissent la fuite, que ce soit physiquement, en cherchant l’exil, ou mentalement, en se réfugiant dans l’humour noir et le fatalisme. Les jeunes ne votent plus, ne manifestent plus, ne croient plus aux promesses. Ils savent que le jeu est verrouillé et que la seule issue réside dans l’informel, l’émigration ou l’oubli. Le véritable parti majoritaire en Algérie est celui de ceux qui ne souhaitent plus participer.

Alors, l’Algérie va-t-elle donc changer ? N’insultons pas l’avenir. Rien n’est impossible. Cependant, un petit bémol. Tant que l’opposition restera divisée, tant que le pouvoir n’aura pas besoin de se renouveler, tant que les Algériens continueront de détourner le regard, rien ne changera. Toutefois, l’histoire nous enseigne que l’apathie d’un peuple peut, un jour, se transformer en tempête. Quand un pays s’endort dans l’illusion d’un statu quo éternel, il finit souvent par se réveiller brutalement. Et ce jour-là, ni le pouvoir ni l’opposition ne seront préparés.

Le jeu de dupes se poursuit. En Algérie, l’opposition s’agite sans déranger, le pouvoir gouverne sans convaincre, et le peuple observe sans y croire. Chacun joue son rôle dans une pièce dont l’issue est déjà connue. L’opposition feint de s’opposer, le pouvoir feint d’être contesté, et finalement, c’est l’indifférence qui prévaut. Mais l’histoire a ses caprices. Un jour, un grain de sable pourrait enrayer cette machine bien huilée. Peut-être que l’opposition cessera de faire semblant. Peut-être que le pouvoir devra faire face à autre chose que du vent. Peut-être que le peuple, lassé de cette comédie, décidera de réécrire le scénario.

Slimane Ouari

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