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Algérie. «Les importations, une source importante dans la fuite des capitaux»

– Depuis le début du mouvement populaire pour le changement avec tous les slogans dénonçant l’ampleur de la corruption, le transfert illégal des devises fait débat et des tentatives ont même été déjouées. Qu’en pensez-vous ?

A chaque période trouble d’une nation, la vigilance en matière de fuite des capitaux et le pillage des objets d’art (à forte valeur marchande) doit être de mise. La conjoncture politico-économique ne sied pas à une certaine catégorie de politiciens et d’affairistes, voyant leur pouvoir remis en cause et se considérant menacés, chercheront évidemment par tous les moyens de mettre à l’abri leurs richesses bien ou mal acquises.

Ils tenteront d’exploiter les failles de la réglementation en vigueur mais aussi de recourir à des moyens illégaux de transfert de devises vers l’étranger grâce à des complicités à différents niveaux que ce soit à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur.

On a pu le constater ces derniers mois par le nombre élevé de transferts illicites de devises au niveau des frontières et le recours à des passeurs (mules). Aussi est-il nécessaire de renforcer les contrôles par rapport aux mécanismes officiels existant relatifs aux transferts de fonds vers l’étranger, mais aussi assurer une surveillance accrue pour éviter les fuites par des moyens détournés et frauduleux.

La coordination des différents services de l’Etat s’impose d’elle-même afin de pouvoir endiguer avec plus d’efficacité les tentatives de contournement du contrôle des changes par ceux qui voudraient transférer en toute légalité des sommes importantes de devises vers d’autres destinations. D’autant plus notre pays est réputé pour son degré élevé de règne de la corruption, les soupçons liés à la fuite de capitaux ne s’estomperont pas de sitôt.

– Réellement, comment se font les opérations de transfert des capitaux ?

Il s’agit essentiellement de transferts de fonds en devises vers l’étranger qui se font habituellement par le canal bancaire. Il existe plusieurs raisons justifiant ces transferts par les résidents (au sens de la balance des paiements) :

– les opérations courantes notamment les importations de biens et services ainsi que les transferts au titre du rapatriement vers le pays d’origine des bénéfices, profits et dividendes réalisés par les résidents étrangers ;

– des investissements à l’étranger réalisés par un opérateur économique résident en vue de compléter des activités menées au niveau local, mais avec l’autorisation du Conseil de la monnaie et du crédit (CMC) ;

– la garantie de transfert du capital investi ainsi que les produits nets de la cession et de la liquidation des investissements étrangers réalisés en Algérie et effectués préalablement par des apports en devises.

Dans le premier cas, c’est le règlement de la Banque d’Algérie n°07-01 du 03 février 2007 relatif aux règles applicables aux transactions courantes avec l’étranger et aux comptes devises qui constitue la référence régissant les transferts de devises vers l’étranger. Alors que dans le troisième cas, c’est l’article 25 alinéa1 de la loi n° 16-09 relative à la promotion de l’investissement qui en est la principale source juridique.

Il y a évidemment une complémentarité entre les deux textes, dès lors que c’est la Banque d’Algérie qui, en dernier ressort, accorde les autorisations de transfert de fonds vers l’étranger. Cependant, si fraude il y a en la matière, l’ordonnance n° 03-01 relative à la répression de l’infraction à la législation et à la réglementation des changes et des mouvements de capitaux de et vers l’étranger, est mise en application.

Dans le cas des personnes physiques lors des voyages, ce sont les prescriptions de l’ordonnance n° 03-01 qui sont applicables en cas d’infraction par rapport à l’obligation prévue par le règlement de la Banque d’Algérie n° 16-02 du 21 avril 2016 relatif au seuil de déclaration d’importation et d’exportation de billets de banque et de devises étrangères.

Il y a lieu de rappeler que tout voyageur est soumis à l’obligation de déclarer auprès du bureau des douanes, à l’entrée et à la sortie du territoire national, les devises qu’il importe ou exporte et dont le montant est égal ou supérieur à l’équivalent de mille (1000) euros. En plus, sortant d’Algérie, un voyageur est autorisé à exporter, par voyage, un montant maximum équivalent à 7500 (sept mille cinq cents) euros, prélevé d’un compte devises ouvert en Algérie ou éventuellement tout montant couvert par une autorisation de change de la Banque d’Algérie.

Comme on peut le constater, les textes juridiques existent mais la question du suivi et du contrôle reste posée à différents niveaux, surtout que certaines opérations, de par leur complexité, exigent une plus grande vigilance ainsi que l’implication coordonnée de plusieurs services relevant d’organismes habilités en la matière.

– Qu’en est-il du contrôle notamment dans les opérations d’importations ?

Toute opération d’importation de biens ou services est soumise à une procédure bancaire appelée domiciliation bancaire et qui équivaut en réalité à une autorisation de change. Tout importateur doit effectuer cette domiciliation auprès de sa banque (qui en est un intermédiaire agréé auprès de la Banque d’Algérie en matière de change) en présentant certains documents (contrat commercial, factures, etc.) et disposant d’une surface financière suffisante. Il s’agit là d’un contrôle a priori effectué par le guichet domiciliataire.

Après le dédouanement des marchandises importées, l’opérateur doit présenter la déclaration douanière (D10) à sa banque afin qu’elle puisse procéder à l’apurement du dossier et le transmettre à la Banque d’Algérie. Il s’agit d’un contrôle a posteriori.

Le problème qui se pose en matière de contrôle des opérations d’importations de biens et services, ne se situe pas totalement dans cette procédure, mais beaucoup plus dans les pratiques de surfacturation qui consistent à surévaluer les prix afin d’en bénéficier de la différence après les paiements en devises effectués par la banque. En second lieu, il y a aussi le recours aux sociétés écrans dans la mesure où la société exportatrice est en réalité une société créée à l’étranger par l’importateur juste pour les besoins de la facturation libellée en devises des marchandises afin qu’il puisse procéder à la domiciliation.

De la même façon, si un crédit documentaire est utilisé comme mode de paiement, la banque domiciliataire n’est responsable que du contrôle des documents qui lui sont remis. Si les marchandises ne sont pas conformes au contrat commercial, cela relève du contrôle physique qu’effectue la douane. Or dans de nombreux cas, et faute d’un contrôle rigoureux, certains opérateurs déclarent une marchandise donnée sur des documents commerciaux et avec des prix précis, alors que ce qu’ils importent réellement est tout autre avec en plus une valeur marchande insignifiante, afin de transférer les devises correspondant au montant prévu dans le contrat.

S’agissant de la facturation des services, elle est encore plus problématique comparativement aux marchandises car à défaut de dédouanement, il est juste exigé une déclaration de service fait. D’autant plus que l’opportunité de tel ou tel service n’est pas toujours évidente C’est pour cette raison que la facture en devises des services importés est de plus en plus lourde pour l’économie nationale. L’ensemble de ces pratiques font que les importations sont gonflées et constituent une source importante dans la fuite des capitaux.

– Concernant les exportations, les opérateurs économiques se plaignent de blocages alors que dans le discours, le cap est mis sur la promotion des exportations hors hydrocarbures…

Les opérations d’exportation sont soumises également à la procédure de domiciliation bancaire. Toute marchandise qui sort du territoire national doit être suivie par un rapatriement d’un montant équivalent en devises, et ce, dans un délai n’excédant pas douze mois.

Un exportateur qui serait confronté par exemple à un incident de paiement avec son client étranger et qui donc logiquement ne pourrait pas rapatrier le montant facturé en devises dans les délais prescrits, il lui sera alors appliqué les sanctions prévues par l’ordonnance n° 03-01 en matière d’infraction à la réglementation des changes.

C’est cet aspect qui est décrié par les exportateurs car il leur porte préjudice. Ils demandent aussi que le taux de rétrocession de 50% des recettes en devises soit revu à la hausse afin d’encourager l’acte d’exporter. Enfin, la Banque d’Algérie est sollicitée pour un assouplissement des transferts en devises vers l’étranger afin de réaliser des investissements nécessaires destinés à accompagner les activités d’exportations (consignation, zones de stockage, création de succursales commerciales, etc.). Aussi, sur ce plan, il y a urgence à revoir la réglementation des changes afin de concrétiser la volonté de diversifier les exportations hors hydrocarbures et sortir des discours sans effets sur la réalité du terrain.

– La création d’une commission de lutte contre le transfert illicite des capitaux en cette période précisément ne montre-t-elle pas qu’un certain laisser-aller a sévi au cours de ces dernières années ?

Un Comité de veille et de suivi chargé de suivre l’évolution des transferts en devises vers l’étranger vient d’être mis en place au niveau du ministère des Finances. A notre avis, il est question en premier lieu d’anticiper des mouvements de capitaux à l’initiative des investisseurs étrangers qui seraient tentés par un éventuel désengagement du pays si la situation de l’économie nationale venait à se détériorer dans les prochains mois.

D’autre part, il peut s’agir d’une coordination, notamment par rapport aux services fiscaux, concernant les demandes de rapatriement vers les pays d’origine des bénéfices et dividendes de la part des sociétés étrangères installées en Algérie. Enfin, c’est aussi pour rassurer l’opinion publique des inquiétudes exprimées ces dernières semaines sur une fuite de capitaux à grande échelle.

– La concertation entre le ministère des Finances et la Banque d’Algérie est certes nécessaire, mais reste insuffisante par rapport à l’objectif de lutte contre les transferts de devises. Comment expliquer alors la présence du change informel de plus en plus tentaculaire ? Comment mettre fin aux pratiques de surfacturation et de sous-facturation, sources des évasions fiscales et des transferts illicites de devises vers l’étranger ?

En définitive, ce qui inquiète le plus c’est le retard mis pour lancer des réformes économiques adéquates permettant en urgence et dans un premier temps l’atténuation de la rapide détérioration du niveau des réserves de change, principale garantie de l’économie algérienne vis-à-vis du reste du monde. Le paradoxe, c’est surtout que l’institution la plus stratégique dans le domaine économique pour un pays, en l’occurrence la Banque centrale, est restée pendant vingt jours sans Gouverneur. C’est une autre inquiétude !

 

Source El Watan
Par B.Guendouzi

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