Pas dupe de la ruse d’un régime qui ne veut rien lâcher, la rue veut avoir le dernier mot et dégager définitivement le pouvoir en place. Ce 15 mars, le contre-pouvoir en gestation depuis quatre semaines peut changer la donne.
Ce 4e vendredi de manifestations sera décisif. Un test crucial après l’annonce du renoncement du président Bouteflika à un 5e mandat. Malgré une feuille de route pour des réformes institutionnelles, la lettre du 11 mars dans laquelle, de fait, Abdelaziz Bouteflika prolonge son mandat actuel et reporte sine die l’élection présidentielle du 18 avril n’a pas calmé les Algériennes et les Algériens. Au contraire. Les manifestations de ce 15 mars seront celles de la colère. Et de la détermination.
Pas dupe de la ruse d’un pouvoir qui ne veut pas lâcher, la rue entend avoir le dernier mot. Ce jour sera celui du « Rendez-vous des manifestants pour le départ de Bouteflika », titre à la une le quotidien El Watan. « Je marche, tu marches, nous marchons, vous marchez, ils partent », affiche l’un des nombreux slogans relayés sur les réseaux sociaux.
Face aux risques de dérapage et aux incertitudes sur l’attitude de l’armée, les appels au calme et à la vigilance se multiplient. « La volonté de garder le contrôle des manifestations, cette capacité d’auto-organisation et son caractère pacifique font la spécificité de ce mouvement », rappelle la sociologue algérienne Amel Boubekeur.
Aujourd’hui, outre la nouvelle démonstration de force que veulent infliger les manifestants au pouvoir, la préoccupation qui monte est de savoir comment organiser la contestation et quel débouché lui donner. L’opposition traditionnelle reste en marge, même si, adepte des combines d’appareil, elle attend son heure.
Le peuple algérien écrit une nouvelle page de son histoire
La peur d’une récupération politique rend les contestataires très méfiants. Mais ils savent qu’ils doivent se structurer. « Le sujet est en débat. C’est par là que passe le chemin de la démocratie », confirme la comédienne Adila Bendimerad, figure de proue du mouvement parmi les artistes. Ils occupent l’espace public, tiennent des agoras permanentes, formulent des propositions, chantent et lisent même des poèmes. Ils veulent aussi qu’émergent des porte-parole « au-dessus de tout soupçon » et surtout sans précipitation. « On n’accouche pas d’une IIe République comme on sort un lapin du chapeau », clame le blogueur très populaire Sidali Kouidri Filali.
Le peuple algérien écrit une nouvelle page de son histoire. Un contre-pouvoir se constitue. La réappropriation de la parole et du politique traverse toute la société. Et tout le territoire. « Certes, le mouvement n’a pas de direction. Mais il est superbement organisé et discipliné. Quand l’histoire s’accélère, les masses font émerger leurs propres structures représentatives », pointe Nadir Djermoune, chercheur urbaniste à l’université de Blida.
Chacun à sa façon en cherche les formes les plus appropriées pour ne pas se faire voler la victoire. Pour que le fleuve ne soit pas une nouvelle fois détourné comme ce fut le cas après l’insurrection de 1988. « L’enjeu est de réussir à formuler des propositions politiques de sortie de crise. La revendication à porter est celle d’une Constituante pour une nouvelle Constitution », explique Hakim Addad, du Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ). Une revendication largement partagée par de nombreux acteurs du mouvement, dont le Parti socialiste des travailleurs (PST) qui appelle à la création de comités populaires dans les quartiers, les communes et les universités.
La RAJ avec les ligues des droits de l’homme, des associations pour les droits des femmes, des collectifs de victimes du terrorisme de la décennie noire – près de 200 000 morts dans les années 1990-2000 – ainsi que plusieurs syndicats autonomes appellent à un « compromis historique vers une transition démocratique ». Seul préalable, « le respect inconditionnel et sans réserve des droits de la personne humaine, des libertés fondamentales et de la volonté populaire ». Ce compromis historique est « une nécessité inéluctable, vitale et urgente », soulignent les signataires de l’appel, qui s’engagent « à œuvrer et à contribuer à la réussite d’une sortie de crise concertée et pacifique ». Après avoir affirmé résolument ce qu’ils ne veulent plus, les Algériennes et les Algériens commencent à formuler ce qu’ils veulent.
Par Latifa Madani